Numéro |
Rev Orthop Dento Faciale
Volume 24, Numéro 1, Mars 1990
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Page(s) | 13 - 32 | |
DOI | https://doi.org/10.1051/odf/1990007 | |
Publié en ligne | 30 mars 2010 |
Le mécanisme de l'éruption dentaire : bilan des recherches et des théories actuelles
King's College London, University of London, Department of Anatomy and Human Biology, Strand, London WC 2R 2I.S
Il n'est pas dans notre intention de résumer les propos de l'auteur. Toutefois, nous nous sommes efforcé pour le lecteur pressé, de rappeler les différentes théories sur le mécanisme de l'éruption et les arguments permettant de confirmer ou de mettre en doute telle ou telle hypothèse.
Tout phénomène biologique est caractérisé par sa complexité et ses interactions. Le phénomène de l'éruption n'échappe pas à cette règle, d'où la difficulté des recherches : par exemple, à un moment donné, une dent en cours d"éruption se déplace à une vitesse représentant un équilibre entre les forces éruptives et les forces de résistance. Dans quelle mesure la résistance des tissus environnants interfère-t-elle avec le mouvement ascensionnel ? Donc, toute expérimentation destinée à bloquer ou à favoriser la « poussée » du germe devrait incorporer cette donnée, ce qui n'est pas évident.
Deux types d'explications ont été proposées pour comprendre ce mécanisme, l'une attribuant à un seul facteur le mouvement éruptif, l'autre proposant une hypothèse multifactorielle.
Dans la première modalité, se retrouvent :
— d'une part des hypothèses reliées aux tissus desmodontaux et à leurs caractéristiques : contraction du collagène au sein du ligament en cours de formation, traction des fibroblastes desmodontaux, grâce à leur motilité, pression hydrostatique exercée par les fluides tissulaires et vasculaires autour de la dent;
— d'autre part toutes les autres hypothèses unifactorielles : l'édification radiculaire, la prolifération cellulaire, la croissance alvéolaire et le rôle du follicule (ou sac) dentaire.
Certaines de ces théories font appel à un mécanisme poussant le germe (exemple : la pression hydrostatique), d'autres à un mécanisme tirant le germe (exemple: la traction qui serait exercée par les fibroblastes desmodontaux).
Pour l'étude expérimentale du mécanisme éruptif deux modèles ont été proposés :
— une approche physiologique consistant à réduire ou à augmenter l'activité du système supposé être à l'origine de l'éruption;
— une approche anatomique, par le biais d'examens microscopiques des tissus impliqués dans le mouvement éruptif, dans une situation normale et expérimentale.
Reste le dernier point de divergence: peut-on appliquer les résultats des études utilisant des dents à croissance continue (incisive du rat, par exemple) au mécanisme de l'éruption des dents à croissance limitée ?
Les hypothèses unifactorielles :
— Contrairement au sens commun, la croissance radiculaire n'est pas nécessaire à l'éruption : une dent dont l'extrémité radiculaire a été réséquée continue à faire son éruption. De même une dent dont la zone proliférative radiculaire (gaine de HERTWIG) a été irradiée poursuit son éruption.
C'est pourquoi de nombreux auteurs situent la force éruptive au sein du desmodonte.
La première hypothèse envisagée – contraction du collagène au niveau des liaisons croisées, au fur et à mesure de sa maturation – est contredite par l'utilisation de substances lathyrogènes (inhibitrices des liaisons croisées) qui n'empêchent pas l'éruption et par des considérations sur le développement des fibres obliques principales avant l'émergence, fibres non encore matures à ce stade.
La deuxième hypothèse donne aux fibroblastes desmodontaux, grâce à des études microscopiques in vivo et in vitro, un rôle moteur, du fait de leur morphologie particulière, sous forme de cellules allongées et polarisées, présentant une certaine analogie avec les myofibroblastes, (cellules observées au cours des processus de cicatrisation), et de leur motilité (propriété de pouvoir se mouvoir, pour une cellule) mise en évidence par des déplacements en direction occlusale. Toutefois, ces cellules se déplacent-elles d'une façon dynamique ou sont-elles transportées passivement? La rétraction des prolongements cellulaires pourrait tracter les fibrilles de collagène, mais le collagène est immature à ce stade. Les rapports entre les études in vivo et la situation in vitro restent incertains.
La troisième hypothèse fait appel à la pression hydrostatique des tissus conjonctifs dentaires, en particulier au niveau du desmodonte, à la suite du gonflement des tissus. Cette théorie donne un rôle moteur aux pressions osmotiques internes au sein de la substance fondamentale. Outre les grandes difficultés de mesure de ces pressions, aucune démonstration expérimentale n'a pu encore vérifier cette hypothèse. Aucune des modifications des pressions des fluides n'a pu être véritablement mesurée avec précision et reliée au mécanisme éruptif. La section du nerf sympathique, destinée à augmenter la pression intracapillaire, donc la pression du fluide interstitiel, pourrait permettre de vérifier par voie indirecte la théorie hydrostatique. Les résultats obtenus sont encore contradictoires. Des expérimentations comparables ont été faites avec section du nerf dentaire inférieur. Les résultats sont également inconstants. Toutefois des mesures plus fines, effectuées en continu à l'aide d'enregistrements électroniques, pourraient confirmer l'idée selon laquelle les pressions du fluide tissulaire seraient responsables de l'éruption dentaire. Par ailleurs, l'administration de produits vasotenseurs provoque immédiatement des mouvements dentaires chez l'animal.
Des observations purement anatomiques ont pu montrer la présence de capillaires fenestrés au niveau du desmodonte du rat. La distribution particulière des fenestrations pourrait offrir une donnée de base à l'apparition d'une pression différentielle du fluide interstitiel favorisant l'éruption.
Dans les hypothèses qui ne sont pas liées aux tissus desmodontaux, l'édification radiculaire peut être rapidement éliminée comme facteur causal. Même avec un apex sectionné, une dent poursuit son éruption.
La racine d'une dent incluse se forme complètement, sans mouvement éruptif.
D'autres travaux ont cherché à mettre en évidence le rôle de la prolifération cellulaire dans le mécanisme éruptif grâce à l'utilisation de produits qui stoppent ou ralentissent les divisions cellulaires. Après injection, on assiste à un net ralentissement de la vitesse d'éruption, mais le site d'action d'un produit ne peut être localisé précisément et ce ralentissement pourrait être le résultat d"une augmentation de la force de résistance des tissus environnants.
Par ailleurs, après élimination de la zone basale proliférative par résection radiculaire, de telles substances provoquent un effet similaire sur la vitesse d'éruption. Donc, la prolifération cellulaire ne paraît pas essentielle à l'éruption continue des incisives du rat.
La croissance alvéolaire et la formation osseuse, spécialement dans la zone basale du sac dentaire, semblent pour certains auteurs à l'origine du processus éruptif. Ceci a été démontré en éliminant des germes de prémolaires chez le chien et en conservant le follicule dentaire : une résorption osseuse au-dessus de la crypte osseuse vide et une apposition en dessous déterminent la création d'un chenal éruptif (iter dentis).
Si la couronne est remplacée par une réplique en silicone ou en métal avec toujours conservation du follicule, la réplique fait son éruption et provoque la rhyzalyse de la dent temporaire homologue. Si l'on supprime le follicule, aucun mouvement ne se produit. Ces travaux permettent de supposer que « le processus éruptif est caractérisé par une résorption et une apposition osseuses, coordonnées par le follicule dentaire, la dent par elle-même n'y contribuant pas ».
Les arguments contre cette hypothèse sont de deux ordres: certains auteurs trouvent une résorption osseuse à la base des dents à croissance continue, le déplacement de la crypte serait à mettre sur le compte de la croissance des mâchoires. Enfin les différences observées, selon les études, pourraient être en rapport avec l'utilisation ou non de dents successionnelles.
La conception multifactorielle de l'éruption dentaire a été analysée par un petit nombre d'expérimentations. C'est l'utilisation de « cocktails » de produits ayant différents effets sur la vitesse d'éruption, telles la thyroxine, l'hydrocortisone, des agents anti-mitotiques, etc., qui ont pu apporter une certaine confirmation de l'hypothèse multifactorielle.
Le concept multifactoriel doit être élargi en incorporant d'autres processus au mécanisme de l'éruption.
— un processus capable de permettre la montée du germe;
— le processus de résistance des tissus environnants au cours du mouvement ascensionnel;
— le processus d'entretien, de sustentation : la dent est soutenue en même temps qu'elle fait son éruption ;
— le processus de remodelage des tissus périodontaux pour conserver l'intégrité fonctionnelle du système.
«Malgré les nombreuses recherches entreprises sur ce thème, le mécanisme précis, responsable de la genèse de la force éruptrice reste encore inconnu.»
© Revue d'Orthopédie Dento-Faciale, Paris, 1990
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